Le jour où j'écrirai un roman !
Je devais avoir cinq ans. Assis à l'arrière d'une deux-chevaux verte, je regardais par la fenêtre fermée les coureurs du dimanche. La route départementale était étroite ; la voiture manquait inévitablement de les froler lorsqu'ils couraient trop près du bitume. En ces soirs de printemps, beaucoup n'hésitaient pas à ôter leur T.shirt. Sur le trajet qui me ramenait à la maison, chaque fois que mon regard croisait un torse nu, je ne manquais pas de me retourner. Je ne quittais alors plus des yeux l'objet de ma curiosité, qui devint, une dizaine d'années plus tard, celui de mon désir.
A cette époque lointaine, d'où les souvenirs remontent par grappes, je me sentais différent. J'ignorais, comme tout enfant, l'origine de ce sentiment que j'imaginais toutefois universel. Je me disais que je grandissais et que grandir, c'était prendre conscience qu'on est à la fois unique et comme tout le monde.
Ce n'est qu'en y repensant plusieurs années plus tard que je m'étais demandé comment mon père ne s'était pas douté de quelque chose. Avec l'innoncence de l'enfant, je me comportais naturellement, sans chercher à dissimuler ce que je ressentais. Je compris assez vite qu'il y avait des gestes à ne pas faire et j'ai commencé très tôt à faire semblant. A ma majorité, je n'avais toujours qu'une vague idée sur ce que pouvait être mon attirance vers mes amis, que je qualifiais de « meilleurs » chaque fois que j'éprouvais ce sentiment d' « amourmitié ». Je me suis alors renfermé sur le peu de certitudes avec lesquelles je pouvais composer. J'étais un garçon qui aimait les garçons. Je ne l'ai accepté qu'à mes vingt ans. Il m'avait fallu quinze longues années pour comprendre ce qui poussait ce petit garçon à regarder avec autant d'insistance le torse des hommes.
Je me souviens de ces soirs où je promettais à Dieu d'être le garçon le plus sage de la Terre s'il me faisait tomber amoureux d'une fille. J'ai répété cette prière des centaines de fois, avec la même verve innocente de croire que je changerai. Lorsque les sentiments de la puberté prirent l'ascendant sur tout ce qui peut rester de rationnel chez un adolescent, ces requêtes divines s'estompèrent. Je continuais à croire en Dieu, mais j'avais arrêté de croire que je pouvais un jour changer. Que de chemin parcouru pour en arriver à lui dire, ce soir-là, que je l'aimais ! Le bonheur simple d'un Amour avoué et partagé avait effacé toutes ces années où je m'étais interdit d'aimer.
Ce texte est une sorte de prélude à mon roman.