Le jour où j'écrirai un roman (3)

Publié le par Butterfly

La maison familiale avait pour caractéristique de ne  pas changer. Elle avait toujours ce parfum indécelable de  l'enfance qui se découvre et s'affine des années durant. J'ignorais s'il s'agissait vraiment d'une odeur identifiable ou si c'était le fruit de mon imagination. Chaque fois que je franchissais le seuil, je replongeais dans des souvenirs que je pensais perdus à tout jamais.

A peine arrivé, mon manteau ôté, on passa à table. Le métro avait été bloqué à Montparnasse. Le mois de décembre charriait son lot de faits divers. Dans l'indifférence générale, les "incidents voyageurs" ponctuaient brutalement le va-et-vient ronronnant des métros. Les premières fois, ce que j'appelais encore pudiquement des accidents, me provoquaient une bouffée d'ampathie. Il me fallait pluisuers heures pour arrêter de penser que, quelque part sur la ligne de métro que j'avais empruntée, un homme, ou une femme, avait décidé de se jeter sur les rails froides. Mon  imagination faisait le reste : je visualisais la scène d'horreur. Puis elle s'estompait comme un souvenir parmi les autres pour ne ressurgir qu'à l'incident voyageur suivant, comme j'avais pris l'habitude cynique de les considérer. Depuis que je vivais à Paris, presque trois ans maintenant, je m'étais  endurçi. Aussi froid que l'hiver parisien, je n'en demeurais pas moins sensible. Mais cela, je ne le montrais pas. Surtout pas.

Le sourire de ma mère me faisait mal.
- "Tu as bonne mine dis moi !"
- "Oui maman. J'ai passé quelques jours à la montagne" mentis-je.
- "Avec des amis ?"
- "Avec Jean Marc et Laurent, oui" mentis-je à nouveau.

Ma mère, sans doute déçue de ne pas avoir entendue un prénom féminin, changea de sujet et questionna ma soeur. Celle-ci pouvait se vanter de correspondre au prototype maternelle de LA fille. Examen réussi, avec mention : rien à dire. J'aurais pu l'avoir moi aussi, mais je n'avais pas pris l'option hétéro.
J'écoutais ma soeur relater avec moults détails son dernier week-end en Sologne. Son fiancé, Paul, acquiessait en souriant benoîtement. Beurk. J'avais beaucoup trop de mal à me mettre à leur place pour pouvoir en être jaloux. Je ne pouvais pas raconter à la tablée familiale mes soirées au Bataclan, au milieu de tous ces garçons à moitié nus, avec Rémis et nos amis qui, je le reconnais, étaient des afficionados de la vie gay parisienne.
A quoi pouvait bien penser mon père dans ces moments-là ? Il était toujours en retrait, laissant ma mère orchestrer seule les conservations. Parfois un signe de tête ou un regard prouvaient qu'il était bien avec nous. Il suivant sans un mot le cours de nos échanges.

- "Et toi alors ? Tu nous la présentes quand ?"

Publié dans Atelier d'écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Voilà un passage dans lequel nous pouvons tous nous reconnaître. Notamment, cette dernière phrase insupportable que l'on entend beaucoup trop souvent quand on est ado et jeune adulte homo ! Tu crées là une atmosphère simple mais authentique, ça donne envie de lire la suite...
Répondre
B
Merci beaucoup cher Antinous ! tes conseils me sont précieux !
T
Salut !<br /> Je ne bloggue plus beaucoup, je ne lis plus beaucoup les blogs. J'avais un quart d'heure à tuer et lire le tien me fait réaliser que je suis con d'avoir lâché un peu ça. <br /> Tu me manquais en fait...<br /> Merci pour ce que tu écris.<br /> Les larmes me sont montées quand j'ai lu ton papier sur les courses et que tu as eu un accès subi de blues, ça m'arrive aussi...<br /> Bisous
Répondre
B
Merci beaucoup pour ce commentaire très touchant ! je continuerai encore ce blog... pour le moment !
J
Ah, j'ai eu de la chance, ce genre de phrases, je ne l'ai jamais entendue.
Répondre
B
Comme tu le dis, tu as eu de la chance ! ceci-dit, maintenant, je m'en amuse ! c'est tellement prévisible !
V
Phrase inévitable quand un garçon approche la trentaine....je connais même des mères qui harcèlent dès 18 ans sonnés... <br /> <br /> J'aime beaucoup. j'attend la suite....
Répondre
B
oh oui, j'ai connu ça aussi. ce sont des mères possessives, qui veulent à la fois savoir et en même l'ignorer. la peur de perdre un enfant en l'apprenant... j'ai du mal à imaginer.
L
Cela colle bien...à la réalité..du vécu ou de celui que l'on va vivre...de mon coté cette phrase je l'ai entendue très souvent jusqu'au jour où...hum !! (je ne vais tout de même pas raconter ma vie noooooon !! mdr)
Répondre
B
ben si, continue... jusqu'au jour où... ?!